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Les itinérants, à ne pas confondre avec les sans-domicile, ont beaucoup fait parler d’eux cette semaine dans les médias québécois et européens. La cause ? Des pièges retrouvés le 9 juin devant le magasin Archambault, dans le centre ville de Montréal, qui font écho à ceux découverts quelques jours plus tôt à Londres. Ces pics en métal ne sont pas sans rappeler ceux placés en haut des fenêtres et des portes d’immeubles afin d’écarter les pigeons et autres volatiles. Mais ce ne sont pas les pigeons que les propriétaires du bâtiment montréalais cherchaient à éloigner.
Il s’agit d’empêcher les itinérants de s’asseoir ou de s’allonger devant la bâtisse. De nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer les mesures discriminantes auxquelles font face les itinérants. Le maire Denis Coderre et les conseillers de l’arrondissement de Ville-Marie se sont empressés d’adopter une motion contre les pics en métal, jugés non conformes aux arrêtés municipaux et dangereux pour les usagers des trottoirs. Plusieurs inspecteurs ont été dépêchés par les autorités locales afin d’éviter qu’un tel incident ne se reproduise plus dans la ville. D’autres pics ont ainsi été retrouvés devant un McDonald's, avant d’être rapidement enlevés. Très présent sur les réseaux sociaux, le maire de Montréal s’est exprimé à plusieurs reprises sur le sujet, dénonçant des mesures « inacceptables » et relevant de l’humiliation.
Tweet de Denis Coderre
Pour Bernard Plante, directeur général de la Société du Développement Commercial du Village, dans l’arrondissement de Ville-Marie, l’itinérance est devenue un problème que les gouvernements provincial et fédéral se doivent de prendre en main : « Des efforts doivent être mis en œuvre surtout à long terme. A court terme, des solutions sont apportées, mais il faut voir plus loin ». Parmi les solutions que l’on retrouve à Montréal, les médiateurs urbains agissant auprès du groupe des commerçants du Village – la Société du Développement Commercial. Ces intervenants de liaison interviennent dans des cas récurrents de problèmes depuis trois ans, en collaboration avec l’association « Spectre de Rue ». Bernard Plante souligne ainsi les résultats qui ont été amenés par ces médiateurs. « Lorsque les commerçants voient que des gestes de médiation sont faits, le niveau de compréhension augmente. Car la médiation est toujours mieux que la judiciarisation », nous confie-t-il.
L’Itinéraire, plus qu’un journal de rue, un combat contre la pauvreté et l’exclusion
Si c’est la première fois que de tels pics en métal anti-itinérants sont retrouvés dans la ville de Montréal, depuis quelques années maintenant les mesures anti-itinérantes se multiplient. Des grillages sont installés devant des bâtiments, des accoudoirs sont ajoutés au milieu de bancs afin d’éviter de s’y allonger et dans certains parcs, des bancs ont été supprimés. « Ces mesures se cantonnent principalement au centre-ville. Pour les bancs supprimés la raison officielle qui est donnée est la trop grande présence de bancs dans les parcs, mais on sait bien que ce n’est pas ça la vraie raison », nous confie Pierre Tougas, agent de soutien auprès du groupe communautaire Itinéraire.
L’Itinéraire cherche à accroître l’autonomie des itinérants en leur proposant des formations, du travail, des programmes d’intégration socioprofessionnelle. Pour Pierre Tougas, la gestion de l’itinérance ne doit pas se passer par des moyens autoritaires ou par l’humiliation des sans-abris. « Il faut mettre en place un dialogue entre les commerçants, les résidents et les itinérants et chercher à faire sortir les itinérants de la misère par le travail ». Car L’Itinéraire, c’est aussi un magazine de rue vendu par près de cent quarante-cinq camelots qui ont connu la pauvreté et parfois la toxicomanie. Ecrit en partie par des itinérants ayant reçu des formations journalistiques, le magazine mensuel publie des articles touchant à de nombreux thèmes, allant du logement social, à la question de l’espace public en passant par des critiques littéraires.
Pierre Tougas, agent d’accueil et de formation à L’Itinéraire. Crédit : Laurine Benjebria, juin 2014
Membre de l’équipe de L’Itinéraire depuis deux ans et demi, Pierre Tougas se félicite de la réussite des cartes repas, vendues aux passants à 5$ et donnant le droit aux itinérants de s’offrir un déjeuner ou un diner auprès du café de L’Itinéraire et de quatre autres centres de Montréal. Ces cartes repas sont vendues chaque année à près de vingt mille exemplaires.
L’invisibilité et l’exclusion quotidienne
De nombreux camelots mettent en avant l’absence de visibilité de leurs conditions précaires, dénonçant le manque d’intérêt de la part des médias et des autorités politiques. Selon Pierre Tougas, les médias s’intéressent aux itinérants et aux personnes en situation précaire de manière circonstancielle : « Hier c’était les pics anti-itinérants, avant on en parlait parce qu’un itinérant avait été tué lors d’une opération policière, mais tout de suite après une nouvelle plus importante ou plus populiste vient prendre la suite ». Ce qu’il dénonce avant tout, c’est le manque de suivi des médias et des politiques, rendant plus difficile la mobilisation des citoyens. Au Québec, l’itinérance est un problème sous-estimé, ce qui s’explique en partie par l’absence d’études chiffrées récentes – la plus récente date de 1996-1997, par Louise Fournier.
Un sans-abri allongé dans une rue de Montréal. Crédit : Laurine Benjebria, juin 2014
Le regard de l’autre pèse sur les itinérants et les camelots qui souhaitent combattre cette exclusion sociale. Pour Manon, camelote depuis un an, les itinérants rencontrent plus de difficultés avec les passants et ce depuis quelques années maintenant. Elle associe cette absence de compassion à la recrudescence du nombre d’itinérants et de mendiants. « J’ai remarqué que les passants achètent moins la revue qu’avant, parce qu’ils pensent qu’on est trop nombreux. On m’a déjà traité de quêteuse, simplement parce que je m’étais installée à côté de mendiants. Entre itinérants, il y a de la jalousie et de la compétition, et parfois on se fait insulter par d’autres itinérants ou par des passants ».
D’autres camelots, ayant souhaité restés anonymes, soulignent que le travail que leur offre L’Itinéraire leur permet de faire partie de notre société. Le travail les sort de la rue et leur donne de l’espoir ainsi que la possibilité de s’intégrer aux autres. De nombreux organismes comme L’Itinéraire et Spectre de Rue offrent cette solution de réinsertion sociale par le travail qui semble avoir fait ses preuves.